En quelques minutes à peine, Adèle (« Appelez-moi Adeline, cela fait français ») a pointé le cœur de ses préoccupations : le sort des Hongrois de Roumanie. Près de cent ans après les faits, Adèle vit encore à l’époque du Traité de Trianon qui, après la première guerre mondiale, démembra l’empire austro-hongrois en transférant à la Roumanie la Transylvanie et le Banat. La mesure n’a jamais été vraiment acceptée en Hongrie où elle nourrit quelques uns des ressentiments qui peuplent l’inquiétude nationale magyare. Même au temps du communisme, Bucarest et Budapest manifestaient sur cette question une sensibilité plus proche du nationalisme petit-bourgeois que de l’internationalisme prolétarien.
Adèle est de nationalité roumaine mais revendique son appartenance à la nation hongroise. Dans le petit hôtel de Timisoara qu’elle gère avec sa famille, elle vante la multiculturalité de sa ville où trois théâtre nationaux (roumain, hongrois, allemand) et une bonne demi-douzaine d’université de langues diverses cohabitent, mais elle annonce avec le sourire qu’elle obtiendra bientôt son passeport hongrois. La possibilité lui en est fournie par une loi récente promulguée par la coalition de droite et d’extrême-droite qui gouverne à Budapest : tout individu d’ascendance hongroise vivant à l’étranger peut (re)devenir, quasi automatiquement, Hongrois et bénéficier des avantages que cela confère. Notamment le droit de vote. Deux à trois millions de personnes, dispersées par l’Histoire dans tous les Etats d’Europe centrale, seraient concernées. La mesure, dit-on à Budapest, vise à souligner la permanence et la cohésion de la nation hongroise. Mais on peut aussi penser qu’au delà de l’idéologie nationaliste qui constitue l’essentiel de leur fond de commerce politique, les artisans de la nouvelle loi espèrent en tirer quelques avantages électoraux.