Des milliers de Juifs qui, avant guerre, habitaient Timisoara, il n’en reste plus aujourd’hui que quelque sept cents, représentés par Luciana Friedmann, 34 ans, présidente de la communauté juive locale. Son bureau est adossé à la synagogue, aujourd’hui fermée, du centre de la ville. C’est un univers de femmes, souvent âgées, auquel seuls deux jeunes hommes effacés apportent leur concours. Luciana travaille dans un vaste appartement organisé autour d’une cour intérieure que l’on aperçoit du balcon, en se penchant par dessus une rampe de fer forgé. Les murs sont sombres, les meubles sont pesants et disparates et les tableaux qui représentent les anciens notables de la communauté sont à l’avenant. Tout cela fait irrésistiblement penser à la Vienne et à la Budapest impériales de la fin du XIXème siècle.
L’essentiel du travail communautaire consiste à assurer soins aux malades et aide financière aux démunis. Quelques activités culturelles et cultuelles complètent le tableau. Et, accessoirement, grâce à ses bonnes relations avec les autorités, la communauté et sa présidente aident les voyageurs de passage sur les traces de leur famille disparue.
Je suis à Timisoara à la recherche d’Etus Sternberger, la mère de mes deux demi-frères. Hormis qu’elle est morte en déportation avec ses deux enfants, je ne sais pas grand chose d’elle. Je n’ai appris son nom que tardivement, presque accidentellement, en lisant un document négligé dans les papiers de mon père décédé. Puis en découvrant l’acte de naissance de ses deux fils, nés à Anvers respectivement en 1928 et 1931, j’ai vu qu’Etus était née en 1899 à Ierce, village situé à quelque quatre-vingt kilomètres de Timisoara.
Ierce s’appelle aujourd’hui Iersnic ; Luciana Friedman y téléphone et, après quelques détours, atterrit à la mairie de Manastur où sont tenus les registres des villages environnants, dont ceux de Iersnic. Une employée communale, Marussia Ulici, m’y attend pour les feuilleter avec moi.
Vaine recherche : ni le registre des naissances, ni celui des mariages ne contient le nom d’Etus Sternberger. Marussia Ulici se prête aimablement à toutes mes demandes, courant chercher aux archives les lourds registres où j’espère trouver un nom ou un indice. Peine perdue.
Je ne serai pas plus heureux à Iersnic. Le village est magnifique, les oies y courent en liberté et les femmes à fichus assissent devant devant leur maison observent paisiblement le nouvel arrivant. Mais personne n’a entendu parler d’une famille Sternberger qui aurait, il y a maintenant plus de cent ans, habité ici. Décevant.