J’avais croisé Jenö une première fois sur deux photos retrouvées dans les papiers paternels. L’une, représentant un jeune couple bourgeoisement mis, portait au verso la mention : Jenö et Frida, Dej, 25 octobre 1930. Le même couple figurait sur la seconde photographie, en habits de mariés. Signature et lieu identiques figuraient au verso mais, cette fois, avec la date du 20 avril 1934. Qui étaient-ils ? Petite ville qui, avant guerre, comptait à peine plus de 16 000 habitants, Dej est située à quelque soixante kilomètres au nord de Cluj-Napoca (Kolosvar, en hongrois), capitale de la Transylvanie. Dej est également à une quinzaine de kilomètres de Dobrocina, le village où habitaient mes grands-parents et où est né mon père. Ce pouvait être l’indice que l’inconnu avait un lien avec ma famille. J’ai voulu en voir un second dans la ressemblance avec mon père que je croyais déceler dans les traits de Jenö. Mais je n’ai pas, alors, cherché à aller plus loin. |
Et puis Internet a tout bousculé. En quelques années, d’importantes bases de données situées un peu partout dans le monde ont été mises en ligne, permettant, tout en restant à sa table de travail, d’opérer des croisements impossibles jusque-là.
J’ai pu reprendre la piste de Jenö le jour où j’y ai croisé l’histoire d’une Frida Grossman, épouse Baruch, née à Dej et morte en déportation. Un sien cousin de Holon, en Israël, avait mentionné son nom sur le registre des victimes de l’Holocauste que tient le musée Yad Vashem de Jérusalem. Le nom Baruch est assez commun dans les communautés juives. Frida Grossman-Baruch pouvait donc n’être qu’une homonymie. Je suis cependant allé voir le cousin de Holon. Le jour de mon arrivée, il était mort et sa famille tenait une veillée funèbre !
Quatre ans plus tard, lors de recherches dans les archives du Musée de l’Holocauste, à Washington, je suis tombé sur la liste des Juifs de Dej dressée par les autorités hongroises (la ville faisait alors partie de la Hongrie) en vue de leur déportation. Frida Grossman y figurait à côté de son mari, Jenö Baruch, et trois enfants, Henrik, Éva et Edit, tous trois nés à Dej entre 1933 et 1936.
Muni de ces renseignements, je me rends, ce 25 août, aux services de l’Etat Civil de Dej. Les employées se démènent, jonglent avec les registres et les index, comparent les dates qui figurent sur mes documents et sur mes photos et, finalement, livrent leur verdict : Frida Grossman a épousé, le 14 janvier 1932, à Dej, Eugen (Jenö en hongrois) Baruch, fils de Josef et Sara Baruch, mes grands-parents. Tout figure noir sur blanc, d’une belle écriture déliée, dans le registre des mariages de la période 1930-1935.
Jenö Baruch était bien le frère de mon père. Il a été déporté avec sa femme et ses trois enfants dans l’un des trois convois qui a quitté Dej pour Auschwitz entre le 28 mai et le 8 juin 1944. Jamais mon père n’avait mentionné leur existence.
Lieber monsieur Marion! Hier kommt der erste Eintrag auf Deinem Blog:
Du darfst nämlich nicht vergessen, das Rätsel auch aufzulösen: Das mit Frida war ja wirklich nur eine Namensgleichheit, erinnerst Du Dich? Die haben uns doch noch ein Photo gezeigt mit der anderen Frida irgendwo in den USA.
Und war das nicht eine Frau, die kurz zuvor gestorben war?! Ich erinnere mich noch ganz genau an den Witwer mit seinem Riss im Hemd und dem Dreitagebart. (Und sowas haben nur Männer…)